Farewell Waltz
Musique : Frédéric Chopin, Mikael Martinov
Chorégraphie : Patrick De Bana
Dramaturgie : Jean-François Vazelle
Lumères : James Angot
Costumes : Stephanie Bäuerle
"Pour Isabelle Guérin et Manuel Legris"
Création mondiale avril 2014 Opera Shanghaï Grand Theater.
Dans l’inconscient collectif, George Sand et Frédéric Chopin forment le couple romantique par excellence. À la lumière des documents laissés par les deux amants, il es aisé de saisir rapidement la mesure de ce couple impossible, empêtré dans une romance aussi curieuse, tumultueuse qu' excitante.
Loin de nous l'idée de "reconstituer" l'histoire au sens strict, mais plutôt comme une source d'inspiration pour évoquer la relation d'un couple du XXIe siècle, pris au milieu de cette société de plus en plus déshumanisée et vivant cette relation complexe et déséquilibrée et, d’une manière cruelle et douloureuse, et ils le savent mais ne veulent pas l’admettre, elle est condamnée à une issue fatale.
Le «big bang» de deux météorites qui se rencontrent se bousculent et partent chacun sur son propre chemin.
Autour de cette Création...
Intention.
Qu'est-ce qui poussa Edmond Rostand à écrire et faire jouer L'Aiglon par Sarah Bernhardt ?
Qu'est-ce qui amena Jean Vilar à confier le rôle du Cid à Gérard Philippe ?
A chaque fois la réponse est la même : Rien sinon « L'évidence » !
De la même façon, évoquant avec mon ami et complice Jean-Marie Didière, l'idée de créer un pas de deux évoquant la liaison aussi curieuse, tumultueuse que passionnante entre George Sand et Frédéric Chopin, il était évident, que ce ne pouvait être qu'Isabelle Guérin et Manuel Legris.
Si ce dernier possède toute la délicate aristocratie du compositeur, la « divine » Isabelle est bien loin du physique peu gracieux de la femme de lettres...
En tout état de cause, loin de nous, l'idée de « reconstituer » ce couple dans ce qu'il pouvait avoir de physique, de matériel, de quotidien.
La lecture des correspondances de l'un et de l'autre bat en brèche, l'idée trop souvent reçue, du couple romantique.
Le constat est implacable : un naufrage !
* *. *
Dresser le portrait de ces deux êtres d'exception, tels qu'ils se révèlent dans les lettres échangées, entre eux ou avec des tiers, permettra de mieux appréhender la complexité de la relation :
George : Elle est à la fois féministe, provocatrice, idéaliste engagée, grande amoureuse, on lui prête des liaisons célèbres et scandaleuses, elle s’affiche fumant le cigare dans des vêtements d’homme ,imposant aux yeux de tous une ambiguïté sexuelle comme une arme de progressisme social.
Davantage Don Juan, qu'amoureuse...
Parce qu'il a du talent, parce qu'il est beau, parce qu'il se refuse, alors elle doit vaincre. Sincère dans l'instant, le fiasco des rapports physiques la met rapidement devant la réalité. Alors, elle se divertit ailleurs, mais entretient la relation au cas ou...
George Sand est certes sensible et douce, mais elle est une femme de caractère ; jamais et à aucun moment la victime de ses amants.
Lassée de n'être finalement qu'une mère de substitution, une garde malade ; elle va s'éloigner sans avoir le courage de le lui dire et l'abandonner à son triste sort, à sa maladie.
Soucieuse de son image, elle se servira de la brouille avec sa fille Solange, soutenue (et peut-être aimée) par Chopin, qui lui offre le rôle de l'amante blessée dans sa dignité, celui d'une femme généreuse frappée par l'ingratitude de son jeune amant...
Elle le sait seul, mais n'aura aucune compassion, si ce n'est une visite rapide (ou rencontre fortuite), pour le « qu'en-dira-t-on ».
Frédéric : Une âme d'élite, un esprit charmant, enjoué aux heures où la torture physique lui laissait quelque répit. Une distinction innée, des manières exquises.
Sublime et mélancolique génie !
La droiture, l'honnêteté la plus pure, la délicatesse la plus fine.
La modestie de bon goût, le désintéressement, la générosité, le dévouement immuable.
Néanmoins, Chopin a un caractère difficile, égocentrique et instable.
Sans doute blessé de n'avoir pu épouser Maria Wodzinska, Frédéric ne cessa de fantasmer son amour pour Elle à qui il dédicacera cette valse opus 69, qu'elle intitula elle-même, Valse de l'Adieu.
Pour la petite histoire, Chopin la lui joua et lui remit la partition. Marie quant à elle, remit à Chopin une rose (rose qu'il garda jusqu'a la fin de sa vie).
Lorsque survient la maladie son caractère devient insupportable.
En dépit des nombreux écrits sur la vie de Chopin, Frédéric demeure d'une certaine façon un mystère. Les historiens les plus sérieux sont réservés quant à l'identité sexuelle du compositeur. Le plus probable serait qu'il ait eu peu d'appétence pour la chose sexuelle...
Toutefois, la très longue correspondance qu'il entretient avec son ami Tytus, atteste de sentiments amoureux évidents, et d'un mal de vivre qu'il n'aurait pu exprimer lorsqu'il lui écrit : « Il est insupportable, quand quelque chose vous pèse, de ne pouvoir se décharger de son fardeau ».
* * *
Le Couple tel que les écrits nous le révèle ...
« Quelle est antipathique, cette Sand. Est-ce bien une femme ? J’arrive à en douter », dit Chopin à son ami Frédéric Hiller.
« Ce M. Chopin, est-ce une jeune fille ? » G.S
« Pour le recevoir, elle va même accepter de sacrifier ses habitudes, renonce à s’habiller en homme et abandonne le pantalon pour une robe. » Michel Larivière, Historien.
« Pour vous, je dépose à vos pieds mon cigare et mon coeur. » G.S.
« Sand a littéralement été obligée de violer Chopin. Le premier rapport physique, il ne l’a pas souhaité, il n’est absolument pas attiré par Sand, mais il n’a pas la force de résister : « J’ai été obligé de faire mon devoir ! »
- Michel Larivière, Historien- »
« Oh ! la répugnance de Chopette pour le corps féminin ! J’avais l’impression de coucher avec un cadavre ! »
« Il y a sept ans que je vis avec Chopette comme avec une vierge. » G.S
« Sand joue le rôle du mâle protecteur, Chopin celui de la femme protégée... » Michel Larivière, Historien.
« L’ange au beau visage, semblable à une grande femme triste, ne peut franchir le pas entre une profonde amitié et un acte charnel avec une femme. » G.S.
« Chopin est un ange, il a fait à Majorque, étant malade à en mourir, de la musique qui sentait le paradis… » G.S.
« Maintenant, je suis semblable à un champignon qui t’empoisonne quand tu le déterres et que tu le goûtes. » F.C.
« Sept années, c’était trop ! » F.C.
« À l’été 1847, Frédéric est bien seul à Paris. Privé de son séjour à Nohant, il ne compose plus, sa santé se détériore, il a des accès de fièvre et tousse beaucoup. » Michel Larivière, Historien.
« Tu t'es crue ma maîtresse, tu n'étais que ma mère... » Alfred de Musset
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Et naquit The Farewell Waltz...
Le projet tel que décrit précédemment était abouti ; ne restait plus à Patrick de Bana de rencontrer ses interprètes et d'entrer en studio...
Et là, bien évidemment rien ne se passe pas comme prévu.
Dès les premières répétitions, je prenais conscience que la réunion des deux "Monstres" Guérin-Legris et la confrontation aux exigences de Patrick allaient "mettre à mal" mon intention !
Le huis clos du studio, la puissance dramatique des deux danseurs le ressenti du chorégraphe : La narration linéaire telle que je l'avais conçue vole en éclats et cède le pas à une aventure qui touche à l'intime de chacun et aux forces conjuguer de tous.
Ainsi, toute référence historique disparaît, Les personnages de Sand et de Chopin, dans ce qu'ils ont de charnel, font place à une abstraction puissante, comme si Patrick De Bana avait voulu ne retenir que la substantifique essence, que l'intense émanation douloureuse de ce couple qui devient ainsi universel.
Isabelle Guerin se révèle une tragédienne puissante qui donne à son personnage toutes les couleurs de la fatalité, suggérant plus que démontrant... Manuel Legris, dont on connaît la puissance et le brio, crée ici un amant désespéré, totalement aux mains de son implacable maîtresse.
Patrick de Bana a fait de The Farewell Waltz, un moment intemporel dans la vie de ces amants qui ne se supportent plus mais ne peuvent, pour autant, envisager de se séparer.
En fait, il n'a retenu que l'essentiel, l'universel de mon histoire, et permis ainsi à Isabelle et Manuel de donner à ce Couple unique, une force dramatique rare, sans référence ni contrainte mais tellement humaine, qui parle au plus intime de chacun.
Comme, je le disais plus haut, le résultat n'a rien à voir avec le projet et pourtant tout y est ! Les forces conjuguées de Patrick de Bana, d'Isabelle Guerin, et de Manuel Legris ont permis de transcender mon histoire dans le sens le plus élevé. Parodiant Henri Bergson, je dirais : si la danse est un art et non pas simplement un exercice, il faut qu'elle transcende les concepts pour arriver à l'intuition.