Apollon

 

Musique Igor Stravinsky

Chorégraphie Patrick De Bana

Dramaturgie Jean-François Vazelle

Scénographie Alain Lagarde

Costumes Stephanie Bäuerle

Lumières Takashi Kitamura

 

  

Création le 14 avril 2013 au Tokyo Bunka Kaikan Main Hall dans le cadre du Spring Festival in Tokyo – Tokyo Opera Nomori 2013.

 

Apollon : Dimo Kirilov Milev

La visiteuse : Tamako Akiyama, bailarina principal de la Compañía Nacional de Danza de España

La mère : Kiyoka Hashimoto, Soliste du Staatsoper Ballet de Vienne

La victime : Alena Klochkova, Demi Soliste du Staatsoper Ballet de Vienne

 

 

Rappel historique.

 

Le ballet est une commande de la mécène américaine Elisabeth Sprague Coolidge, destiné à être donné à la Bibliothèque du Congrès. Après Œdipus rex, Stravinski choisit à nouveau de s'inspirer d'un sujet en rapport avec l'Antiquité grecque et retient le thème d'Apollon qui instruit les Muses à leur art.

Les personnages sont Apollon et trois muses : Calliope muse de la poésie, Polymnie muse de la rhétorique et Terpsichore muse de la danse.

L'argument :

Prologue : naissance d'Apollon sur l'île de Délos.

Au centre de la scène, Apollon exécute une variation.

Trois muses – Calliope, Polymnie et Terpsichore - s'approchent de lui et le saluent..

Il donne à chacune d'elles le symbole de son art : à Calliope - muse de la poésie - une tablette ; à Polymnie - muse du théâtre - un masque et à Terpsichore - muse de la danse et du chant - une lyre.

Les trois femmes dansent avec les dons qu'elles ont reçus.

Puis, à l'appel de Zeus, Apollon gravit avec elles les marches du Parnasse vers l'Olympe.

 

Le ballet est divisé en deux tableaux :

  • Premier tableau

    • Naissance d'Apollon

  • Second tableau

    • Variation d'Apollon (Apollon et les Muses)

    • Pas d'action (Apollon et les trois muses: Calliope, Polymnie et Terpsichore)

    • Variation de Calliope (l'Alexandrin)

    • Variation de Polymnie

    • Variation de Terpsichore

    • Variation d'Apollon

    • Pas de deux (Apollon et Terpsichore)

    • Coda (Apollon et les Muses)

    • Apothéose. 

Le ballet est créé à Washington en avril 1928 dans la chorégraphie d'Adolph Bolm et il est repris par les Ballets russes à Paris le 28 juin suivant, chorégraphié par George Balanchine.

S'appuyant sur la beauté et les qualités d'interprète de Lifar, Balanchine conçoit un Apollon jeune et sauvage, exaltation de la danse masculine. L'œuvre est sobre et claire, en parfaite adéquation avec la partition de Stravinski.

Lors de la création, Apollon porte une toge retravaillée, avec une coupe en diagonale, une ceinture et des lacets qui montent à la manière des spartiates. Les muses ont un tutu classique. Le décor est baroque : deux grosses machineries (des rochers et le chariot d'Apollon)

En 1947, Stravinski remanie sa partition et au fil des reprises, le chorégraphe épure peu à peu les costumes et les décors (reprise de 1957), Dans la reprise de 1978, il supprime le premier tableau, le "Musagète" du titre et même le Parnasse. Ce dernier demeure matérialisé par un simple escalier recouvert de velours noir.

La chorégraphie est adaptée à la personnalité des nouveaux interprètes, dont Mikhaïl Barychnikov.

 

L'importance d'Apollon dans l'histoire du ballet a été signalée en son temps par Lincoln Kirstein et plus particulièrement son écriture révolutionnaire pour l'époque, devenue si classique aujourd'hui : « Nous oublions qu'actuellement, dans notre danse, une grande part du ‟modernisme” vient d'Apollon et que nombre de portés, d'utilisation des pointes étaient inconnus avant. Au début, ces innovations horrifièrent de nombreuses personnes, mais c'était là une extension si naturelle du pur style de Saint-Léon, Petipa et Ivanov, qu'elles furent presque immédiatement intégrées aux traditions de cet art. »

 

Note d'intention.

 

La première réaction serait de s'interdire une quelconque relecture d'une œuvre si parfaite dans sa forme.

A bien y réfléchir et pensant à George Balanchine, à son esprit novateur voire révolutionnaire mais également à la satisfaction qu'il pourrait éprouver par la hardiesse de l'entreprise et l'hommage qui lui est ainsi rendu, l'on se dit : pourquoi pas ?

Par delà l'aspect formel, acte quasi fondateur de l'esthétique balanchinienne, le génial chorégraphe parle ici de l'enfantement, de l'enseignement, de l'accomplissement de l'être par la transmission...

Rien n'y est figé ni stéréotypé, Mr. B. s'interdit tout cliché au profit d'un imaginaire créatif.

Ainsi répondant à un critique que ne retrouvait pas dans le ballet la statuaire de l'Apollon du Belvédère, George Balanchine précise : « … il n'est pas celui du Belvédère, sculptural... il est sauvage, humain par sa jeunesse... »

Il convient de préciser que si Apollon est couramment retenu comme le symbole de la beauté et des arts, les Grecs multiplièrent ses attributions et leur donnèrent parfois un caractère funeste. C'est ainsi qu'il est regardé comme le dieu du Châtiment foudroyant. Toutes les morts subites sont le résultat des blessures qu'il inflige de ses traits. Parfois, il condamne l'humanité à une mort plus lente et plus horrible encore en lui envoyant la peste.

 

C'est bien cet Apollon humain à la fois beauté mais noirceur qui nous interpelle. Celui qui quitte ses muses à regret lorsque son père, Zeus lui intime l'ordre de regagner l'Olympe (topos poétique et non géographique) c'est à dire l'Absolu, la résidence des Dieux.

 

En 27 minutes et 37 secondes (dans la version de 1947) par un découpage de sa partition aussi précis qu'implacable, Igor Stravinski nous conduit de la naissance à la transfiguration de son Apollon, l'homme-dieu .

Cela nous amène à nous demander en quelle circonstance peut-on voir ainsi sa vie, ses amours, ses amis défiler dans un tel flash si ce n'est dans ce même laps de temps qui précède immédiatement le Départ ? Quelle fulgurance ce doit être lorsqu'il est irrémédiablement programmé tel que, par exemple, dans les funestes couloirs de la mort dont l'horreur ne peut échapper, ni ne questionner quiconque aujourd'hui. De la privation de liberté, aux traitements indignes ou aux médications imposées combien y laissent en sus leur raison ?

 

Dans ces terribles instants qui précèdent la énième décision d'exécution ou de grâce, qui sont les muses qui viennent inspirer chacun des instants de leur vie suspendue ? Elles ont certainement pour nom mère, épouse, filles ou avocates....

Face à ce qui sera mort ou délivrance dans quelques minutes, en marche de toutes façons vers leur Olympe et revivifiés par la vision de leurs femmes-muses, ils suivent les pas d'Apollon.

 

Textes :

 

« Lorsqu'un homme meurt quelque part dans le monde, je me sens diminué, parce que je suis l'humanité. C'est pourquoi je ne demande jamais pour qui sonne le glas, car je sais que c'est aussi un peu pour moi. » Ernest Hemingway

 

« Et l’Ange de la mort vers le soir à la porte

Apparut, demandant qu’on lui permît d’entrer.

« Qu’il entre. »

On vit alors son regard s’éclairer

De la même clarté qu’au jour de sa naissance ;

Et l’Ange lui dit : « Dieu désire ta présence.

Bien », dit-il. Un frisson sur les tempes courut,

Un souffle ouvrit sa lèvre, et il mourut. » Victor Hugo

 

« Souvent aujourd’hui, dans le couloir de la mort, ma grand-mère me revient à l’esprit. J’ai tant appris auprès d’elle sans même m’en rendre compte. Elle a sauvé mon âme sans doute, en m’enseignant une foi simple. Je n’appartiens vraiment à aucune religion, ni à aucun mouvement spirituel. J’appartiens seulement à l’expérience intérieure que peut faire chacun à tout moment : être plus fort que la haine ! Etre plus fort que ses peurs ! » Roger McGowen

 

« À quoi bon s'insurger, la justice où est-elle ?

Tumulte en mon esprit : Je te rejoins maman ! » Troy Davis

 

Les personnages :

Lui. Danseur de 23 ans, il est aux portes de la gloire : il est nommé Principal et choisi pour interpréter Apollon Musagète. La veille de sa Première, au cours de la soirée, une jeune fille est assassinée dans des conditions particulièrement atroces. Tout l'accuse et pourtant il est innocent.

Condamné à mort, il attend son exécution depuis 19 ans.

Son état de santé a contraint les autorités à le transférer dans un hôpital psychiatrique.

Il lit et relit le Journal de Nijinsky auquel, aidé par les médicaments et l'isolement, il s'identifie chaque jour un peu plus. Il ressasse jusqu'à l’obsession son rendez-vous manqué avec la danse, et plus particulièrement avec ce rôle d'Apollon.

Pendant toutes ces années, les recours se sont succèdés sans résultat, en dépit d'une forte mobilisation populaire.

 

La mère, elle est l'absente présente à chaque instant. De fait, elle habite la scène telle une Piéta, figure de LA MERE universelle.

Morte durant la longue détention, Il ne la jamais revue. Malgré tout, son image le hante, l’apaise, le soutient et lui donne le courage de se battre pour faire reconnaître enfin son innocence.

 

La victime, Lui sait qu'elle est la seule à connaître la vérité. Il en a vu des images à la télévision et dans ses moments de désespoir les plus profonds, lorsque l'esprit s'égare, elle revient pour le réconforter et témoigner de son innocence.

Ces deux femmes sont intimement liées, car elle sont aux yeux du détenu, les deux seules qui ne l'accusent et ne doutent jamais de lui.

 

La visiteuse, le seul personnage de chair et d'os de cette histoire, son seul lien avec le monde extérieur. Elle personnifie la fidélité, la flamme vacillante de l'espoir.

Cette présence féminine pose de plus en plus problème. En effet, dans la misère sexuelle absolue, où il se trouve plongé depuis si longtemps et alors que sa raison vacille, cette femme devient un fantasme de sensualité, de sexualité bestiale.

 

Synopsis :

L'histoire commence alors que le « Comité des grâces » est réuni qui doit se prononcer sur un ultime recours déposé par les avocats de la défense. Mais n'est-il pas déjà trop tard ?

Un ancien danseur aux portes de la gloire est injustement accusé de meurtre et condamné à mort.

Emprisonné depuis plus de 19 ans, sa santé mentale se dégrade dangereusement. Toutefois, il attend le verdict de l'ultime recours. Il vit ces 27 minutes et 37 secondes les plus tragiques de son pathétique destin. Le seul lien avec l'extérieur est sa Visiteuse, solide soutien de toutes ces années. C'est elle qui lui apportera le verdict.

Ces derniers instants sont intensément habités par « ses » femmes, celles qui l'ont façonné, celles qui ont marqué sa vie mais également par cet Apollon qu'il n'a jamais pu danser.

Dans une série de flash vertigineux et une démence intermittente, il revit sa danse et revoit ses femmes en pensée ou dans ses rêves. Elles sont douce compagnie, affectueux soutien, ou violent et obsédant objet sexuel...

Elles impriment ses ultimes états d'âme, soutiennent ses derniers pas jusqu'à la révélation du verdict qui, quel qu'il puisse être, lui ouvrira enfin les portes de SON Olympe.

 

Le ballet :

4h 32' 13'' (Musique : Birth of Apollo 04:11)

Lui, la Mère.

La Mère est en scène au lever de rideau, assise et cachée aux regards par un long voile noir.

Lui, est là, agité, menotté et entravé.

En dansant, il fait tomber le voile : sa Mère apparaît, elle le délivre de ses menottes et, dans sa tête de prisonnier, le fait « évader », l'entrainant loin de sa triste réalité.

Apaisé, il s'endort.

4h 36' 24''

Musique :Variation d'Apollon (Apollon et les Muses) 02:49

Lui endormi, La Mère, La Victime.

Le songe.

Vision de ces deux femmes, images de la compréhension, de la douceur, de l'apaisement.

Elles seules le savent innocent : La Mère ne peut concevoir son fils coupable et la Victime, elle sait !

Entrée de La Visiteuse, les deux esprits disparaissent.

4h 39' 13''

Musique : Pas d'action (Apollo and the 3 Muses) 03:57

Lui, La Visiteuse.

La Visiteuse s'approche de l'endormi.

Doucement elle le réveille. Entre rêve et réalité, à cause de sa raison qui chancèle, il se laisse consoler et entendre toutes les raisons qu'elle lui donne d'espérer encore.

Entrée de la Mère et de la Victime.

4h 43' 10''

Musique : Variation of Calliope (the Alexandrine) 01:30

La Victime.

La Victime, exprime son impatiente certitude à voir enfin la vérité éclater.

4h 44' 40''

Musique : Variation of Polyhymnia 01:15

La Mère

La Mère fait à son fils une poignante déclaration d'amour !

4h 45' 55''

Musique : Variation of Terpsichore 01:32

La Visiteuse.

La Visiteuse, comme elle le fait inlassablement depuis touts ces année, exprime un indéfectible espoir, sa foi dans les juges du Comité, actuellement en délibération. Il faut vivre, vivre et vivre encore...

4h 47' 27''

Musique : Variation of Apollo 02:13

Lui, La Visiteuse.

Toutes ces pensées, ces images l'ont emmené loin de la prison, et pourtant elles ont disparues.

Seul devant lui cette Visiteuse qu'il ne reconnaît pas.

Le rêve tourne au cauchemar et d'inquiétants signes d'aliénation mentale se font jour.

4h 49' 40 ''

Musique : Pas de deux (Apollo and Terpsichore) 03:28

Lui, La Visiteuse.

Finalement, il se jette sur elle, lui arrache son manteau ne voulant voir en elle que l'objet de ses fantasmes érotiques.

Elle finit par le repousser, rajuste ses vêtement et le secoue pour tenter de la ramener à la réalité.

Hagard, il s'effondre.

4h 53' 18''

Musique : Coda 03:24

Lui, puis La Mère, puis La Victime.

Il est seul. Il a froid. Il est « revenu » dans sa prison. Il sombre dans une profonde détresse désespérée.

Pourquoi espérer plus ce soir que lors de 8 054 nuits précédentes ? Il pleure sa vie perdue, toutes ces années inutiles.

L'image de sa mère continue à l’obséder. Elle apparait tentant de le réconforter.

Le voyant ainsi grelottant, elle tente de le réchauffer et, comme à l'habitude, de le soutenir dans son épreuve.

Sur la fin de la musique, La Victime les rejoint.

4 h. 56' 42''

Musique : Apotheosis 03:18

Tous.

Alors qu'il semble égaré parmi tous ces « fantômes », La Visiteuse entre : le verdict est rendu, elle vient l'en informer.

Dans le même temps, le fonds de scène s'éclaire progressivement jusqu'à devenir très violent. Avec un regard pour chacune, il s'éloigne esquissant des pas désordonnés rappelant ici ou là l'Apollo de Balanchine. Vers le lointain il n'est plus qu'une ombre chinoise flottante qui disparaît dans la lumière.

5 h. 00'

Qu'il ait été exécuté ou gracié, plus rien ne sera plus jamais comme avant !

 

 

 

 

 

Apollon

 

Musique Igor Stravinsky

Chorégraphie Patrick De Bana

Dramaturgie Jean-François Vazelle

Scénographie Alain Lagarde

Costumes Stephanie Bäuerle

Lumières Takashi Kitamura

 

  

Création le 14 avril 2013 au Tokyo Bunka Kaikan Main Hall dans le cadre du Spring Festival in Tokyo – Tokyo Opera Nomori 2013.

 

Apollon : Dimo Kirilov Milev

La visiteuse : Tamako Akiyama, bailarina principal de la Compañía Nacional de Danza de España

La mère : Kiyoka Hashimoto, Soliste du Staatsoper Ballet de Vienne

La victime : Alena Klochkova, Demi Soliste du Staatsoper Ballet de Vienne

 

 

Rappel historique.

 

Le ballet est une commande de la mécène américaine Elisabeth Sprague Coolidge, destiné à être donné à la Bibliothèque du Congrès. Après Œdipus rex, Stravinski choisit à nouveau de s'inspirer d'un sujet en rapport avec l'Antiquité grecque et retient le thème d'Apollon qui instruit les Muses à leur art.

Les personnages sont Apollon et trois muses : Calliope muse de la poésie, Polymnie muse de la rhétorique et Terpsichore muse de la danse.

L'argument :

Prologue : naissance d'Apollon sur l'île de Délos.

Au centre de la scène, Apollon exécute une variation.

Trois muses – Calliope, Polymnie et Terpsichore - s'approchent de lui et le saluent..

Il donne à chacune d'elles le symbole de son art : à Calliope - muse de la poésie - une tablette ; à Polymnie - muse du théâtre - un masque et à Terpsichore - muse de la danse et du chant - une lyre.

Les trois femmes dansent avec les dons qu'elles ont reçus.

Puis, à l'appel de Zeus, Apollon gravit avec elles les marches du Parnasse vers l'Olympe.

 

Le ballet est divisé en deux tableaux :

  • Premier tableau

    • Naissance d'Apollon

  • Second tableau

    • Variation d'Apollon (Apollon et les Muses)

    • Pas d'action (Apollon et les trois muses: Calliope, Polymnie et Terpsichore)

    • Variation de Calliope (l'Alexandrin)

    • Variation de Polymnie

    • Variation de Terpsichore

    • Variation d'Apollon

    • Pas de deux (Apollon et Terpsichore)

    • Coda (Apollon et les Muses)

    • Apothéose. 

Le ballet est créé à Washington en avril 1928 dans la chorégraphie d'Adolph Bolm et il est repris par les Ballets russes à Paris le 28 juin suivant, chorégraphié par George Balanchine.

S'appuyant sur la beauté et les qualités d'interprète de Lifar, Balanchine conçoit un Apollon jeune et sauvage, exaltation de la danse masculine. L'œuvre est sobre et claire, en parfaite adéquation avec la partition de Stravinski.

Lors de la création, Apollon porte une toge retravaillée, avec une coupe en diagonale, une ceinture et des lacets qui montent à la manière des spartiates. Les muses ont un tutu classique. Le décor est baroque : deux grosses machineries (des rochers et le chariot d'Apollon)

En 1947, Stravinski remanie sa partition et au fil des reprises, le chorégraphe épure peu à peu les costumes et les décors (reprise de 1957), Dans la reprise de 1978, il supprime le premier tableau, le "Musagète" du titre et même le Parnasse. Ce dernier demeure matérialisé par un simple escalier recouvert de velours noir.

La chorégraphie est adaptée à la personnalité des nouveaux interprètes, dont Mikhaïl Barychnikov.

 

L'importance d'Apollon dans l'histoire du ballet a été signalée en son temps par Lincoln Kirstein et plus particulièrement son écriture révolutionnaire pour l'époque, devenue si classique aujourd'hui : « Nous oublions qu'actuellement, dans notre danse, une grande part du ‟modernisme” vient d'Apollon et que nombre de portés, d'utilisation des pointes étaient inconnus avant. Au début, ces innovations horrifièrent de nombreuses personnes, mais c'était là une extension si naturelle du pur style de Saint-Léon, Petipa et Ivanov, qu'elles furent presque immédiatement intégrées aux traditions de cet art. »

 

Note d'intention.

 

La première réaction serait de s'interdire une quelconque relecture d'une œuvre si parfaite dans sa forme.

A bien y réfléchir et pensant à George Balanchine, à son esprit novateur voire révolutionnaire mais également à la satisfaction qu'il pourrait éprouver par la hardiesse de l'entreprise et l'hommage qui lui est ainsi rendu, l'on se dit : pourquoi pas ?

Par delà l'aspect formel, acte quasi fondateur de l'esthétique balanchinienne, le génial chorégraphe parle ici de l'enfantement, de l'enseignement, de l'accomplissement de l'être par la transmission...

Rien n'y est figé ni stéréotypé, Mr. B. s'interdit tout cliché au profit d'un imaginaire créatif.

Ainsi répondant à un critique que ne retrouvait pas dans le ballet la statuaire de l'Apollon du Belvédère, George Balanchine précise : « … il n'est pas celui du Belvédère, sculptural... il est sauvage, humain par sa jeunesse... »

Il convient de préciser que si Apollon est couramment retenu comme le symbole de la beauté et des arts, les Grecs multiplièrent ses attributions et leur donnèrent parfois un caractère funeste. C'est ainsi qu'il est regardé comme le dieu du Châtiment foudroyant. Toutes les morts subites sont le résultat des blessures qu'il inflige de ses traits. Parfois, il condamne l'humanité à une mort plus lente et plus horrible encore en lui envoyant la peste.

 

C'est bien cet Apollon humain à la fois beauté mais noirceur qui nous interpelle. Celui qui quitte ses muses à regret lorsque son père, Zeus lui intime l'ordre de regagner l'Olympe (topos poétique et non géographique) c'est à dire l'Absolu, la résidence des Dieux.

 

En 27 minutes et 37 secondes (dans la version de 1947) par un découpage de sa partition aussi précis qu'implacable, Igor Stravinski nous conduit de la naissance à la transfiguration de son Apollon, l'homme-dieu .

Cela nous amène à nous demander en quelle circonstance peut-on voir ainsi sa vie, ses amours, ses amis défiler dans un tel flash si ce n'est dans ce même laps de temps qui précède immédiatement le Départ ? Quelle fulgurance ce doit être lorsqu'il est irrémédiablement programmé tel que, par exemple, dans les funestes couloirs de la mort dont l'horreur ne peut échapper, ni ne questionner quiconque aujourd'hui. De la privation de liberté, aux traitements indignes ou aux médications imposées combien y laissent en sus leur raison ?

 

Dans ces terribles instants qui précèdent la énième décision d'exécution ou de grâce, qui sont les muses qui viennent inspirer chacun des instants de leur vie suspendue ? Elles ont certainement pour nom mère, épouse, filles ou avocates....

Face à ce qui sera mort ou délivrance dans quelques minutes, en marche de toutes façons vers leur Olympe et revivifiés par la vision de leurs femmes-muses, ils suivent les pas d'Apollon.

 

Textes :

 

« Lorsqu'un homme meurt quelque part dans le monde, je me sens diminué, parce que je suis l'humanité. C'est pourquoi je ne demande jamais pour qui sonne le glas, car je sais que c'est aussi un peu pour moi. » Ernest Hemingway

 

« Et l’Ange de la mort vers le soir à la porte

Apparut, demandant qu’on lui permît d’entrer.

« Qu’il entre. »

On vit alors son regard s’éclairer

De la même clarté qu’au jour de sa naissance ;

Et l’Ange lui dit : « Dieu désire ta présence.

Bien », dit-il. Un frisson sur les tempes courut,

Un souffle ouvrit sa lèvre, et il mourut. » Victor Hugo

 

« Souvent aujourd’hui, dans le couloir de la mort, ma grand-mère me revient à l’esprit. J’ai tant appris auprès d’elle sans même m’en rendre compte. Elle a sauvé mon âme sans doute, en m’enseignant une foi simple. Je n’appartiens vraiment à aucune religion, ni à aucun mouvement spirituel. J’appartiens seulement à l’expérience intérieure que peut faire chacun à tout moment : être plus fort que la haine ! Etre plus fort que ses peurs ! » Roger McGowen

 

« À quoi bon s'insurger, la justice où est-elle ?

Tumulte en mon esprit : Je te rejoins maman ! » Troy Davis

 

Les personnages :

Lui. Danseur de 23 ans, il est aux portes de la gloire : il est nommé Principal et choisi pour interpréter Apollon Musagète. La veille de sa Première, au cours de la soirée, une jeune fille est assassinée dans des conditions particulièrement atroces. Tout l'accuse et pourtant il est innocent.

Condamné à mort, il attend son exécution depuis 19 ans.

Son état de santé a contraint les autorités à le transférer dans un hôpital psychiatrique.

Il lit et relit le Journal de Nijinsky auquel, aidé par les médicaments et l'isolement, il s'identifie chaque jour un peu plus. Il ressasse jusqu'à l’obsession son rendez-vous manqué avec la danse, et plus particulièrement avec ce rôle d'Apollon.

Pendant toutes ces années, les recours se sont succèdés sans résultat, en dépit d'une forte mobilisation populaire.

 

La mère, elle est l'absente présente à chaque instant. De fait, elle habite la scène telle une Piéta, figure de LA MERE universelle.

Morte durant la longue détention, Il ne la jamais revue. Malgré tout, son image le hante, l’apaise, le soutient et lui donne le courage de se battre pour faire reconnaître enfin son innocence.

 

La victime, Lui sait qu'elle est la seule à connaître la vérité. Il en a vu des images à la télévision et dans ses moments de désespoir les plus profonds, lorsque l'esprit s'égare, elle revient pour le réconforter et témoigner de son innocence.

Ces deux femmes sont intimement liées, car elle sont aux yeux du détenu, les deux seules qui ne l'accusent et ne doutent jamais de lui.

 

La visiteuse, le seul personnage de chair et d'os de cette histoire, son seul lien avec le monde extérieur. Elle personnifie la fidélité, la flamme vacillante de l'espoir.

Cette présence féminine pose de plus en plus problème. En effet, dans la misère sexuelle absolue, où il se trouve plongé depuis si longtemps et alors que sa raison vacille, cette femme devient un fantasme de sensualité, de sexualité bestiale.

 

Synopsis :

L'histoire commence alors que le « Comité des grâces » est réuni qui doit se prononcer sur un ultime recours déposé par les avocats de la défense. Mais n'est-il pas déjà trop tard ?

Un ancien danseur aux portes de la gloire est injustement accusé de meurtre et condamné à mort.

Emprisonné depuis plus de 19 ans, sa santé mentale se dégrade dangereusement. Toutefois, il attend le verdict de l'ultime recours. Il vit ces 27 minutes et 37 secondes les plus tragiques de son pathétique destin. Le seul lien avec l'extérieur est sa Visiteuse, solide soutien de toutes ces années. C'est elle qui lui apportera le verdict.

Ces derniers instants sont intensément habités par « ses » femmes, celles qui l'ont façonné, celles qui ont marqué sa vie mais également par cet Apollon qu'il n'a jamais pu danser.

Dans une série de flash vertigineux et une démence intermittente, il revit sa danse et revoit ses femmes en pensée ou dans ses rêves. Elles sont douce compagnie, affectueux soutien, ou violent et obsédant objet sexuel...

Elles impriment ses ultimes états d'âme, soutiennent ses derniers pas jusqu'à la révélation du verdict qui, quel qu'il puisse être, lui ouvrira enfin les portes de SON Olympe.

 

Le ballet :

4h 32' 13'' (Musique : Birth of Apollo 04:11)

Lui, la Mère.

La Mère est en scène au lever de rideau, assise et cachée aux regards par un long voile noir.

Lui, est là, agité, menotté et entravé.

En dansant, il fait tomber le voile : sa Mère apparaît, elle le délivre de ses menottes et, dans sa tête de prisonnier, le fait « évader », l'entrainant loin de sa triste réalité.

Apaisé, il s'endort.

4h 36' 24''

Musique :Variation d'Apollon (Apollon et les Muses) 02:49

Lui endormi, La Mère, La Victime.

Le songe.

Vision de ces deux femmes, images de la compréhension, de la douceur, de l'apaisement.

Elles seules le savent innocent : La Mère ne peut concevoir son fils coupable et la Victime, elle sait !

Entrée de La Visiteuse, les deux esprits disparaissent.

4h 39' 13''

Musique : Pas d'action (Apollo and the 3 Muses) 03:57

Lui, La Visiteuse.

La Visiteuse s'approche de l'endormi.

Doucement elle le réveille. Entre rêve et réalité, à cause de sa raison qui chancèle, il se laisse consoler et entendre toutes les raisons qu'elle lui donne d'espérer encore.

Entrée de la Mère et de la Victime.

4h 43' 10''

Musique : Variation of Calliope (the Alexandrine) 01:30

La Victime.

La Victime, exprime son impatiente certitude à voir enfin la vérité éclater.

4h 44' 40''

Musique : Variation of Polyhymnia 01:15

La Mère

La Mère fait à son fils une poignante déclaration d'amour !

4h 45' 55''

Musique : Variation of Terpsichore 01:32

La Visiteuse.

La Visiteuse, comme elle le fait inlassablement depuis touts ces année, exprime un indéfectible espoir, sa foi dans les juges du Comité, actuellement en délibération. Il faut vivre, vivre et vivre encore...

4h 47' 27''

Musique : Variation of Apollo 02:13

Lui, La Visiteuse.

Toutes ces pensées, ces images l'ont emmené loin de la prison, et pourtant elles ont disparues.

Seul devant lui cette Visiteuse qu'il ne reconnaît pas.

Le rêve tourne au cauchemar et d'inquiétants signes d'aliénation mentale se font jour.

4h 49' 40 ''

Musique : Pas de deux (Apollo and Terpsichore) 03:28

Lui, La Visiteuse.

Finalement, il se jette sur elle, lui arrache son manteau ne voulant voir en elle que l'objet de ses fantasmes érotiques.

Elle finit par le repousser, rajuste ses vêtement et le secoue pour tenter de la ramener à la réalité.

Hagard, il s'effondre.

4h 53' 18''

Musique : Coda 03:24

Lui, puis La Mère, puis La Victime.

Il est seul. Il a froid. Il est « revenu » dans sa prison. Il sombre dans une profonde détresse désespérée.

Pourquoi espérer plus ce soir que lors de 8 054 nuits précédentes ? Il pleure sa vie perdue, toutes ces années inutiles.

L'image de sa mère continue à l’obséder. Elle apparait tentant de le réconforter.

Le voyant ainsi grelottant, elle tente de le réchauffer et, comme à l'habitude, de le soutenir dans son épreuve.

Sur la fin de la musique, La Victime les rejoint.

4 h. 56' 42''

Musique : Apotheosis 03:18

Tous.

Alors qu'il semble égaré parmi tous ces « fantômes », La Visiteuse entre : le verdict est rendu, elle vient l'en informer.

Dans le même temps, le fonds de scène s'éclaire progressivement jusqu'à devenir très violent. Avec un regard pour chacune, il s'éloigne esquissant des pas désordonnés rappelant ici ou là l'Apollo de Balanchine. Vers le lointain il n'est plus qu'une ombre chinoise flottante qui disparaît dans la lumière.

5 h. 00'

Qu'il ait été exécuté ou gracié, plus rien ne sera plus jamais comme avant !